La flambée des prix de l'immobilier et l'augmentation des loyers, aggravées par une pénurie généralisée de logements, font qu'un mode de vie abordable est devenu de plus en plus inaccessible pour de nombreux Canadiens.
Les données sur le revenu médian après impôt de Statistique Canada et les données sur les prix des logements de l'Association canadienne de l'immeuble (ACI) révèlent que le rapport moyen entre le prix des logements et le revenu a considérablement augmenté, passant de 4,1 en 2005 à 9,8 en 2022. Parallèlement, la variation annuelle des prix des loyers a atteint un niveau record de 8 % en 2023, dépassant l'inflation annuelle et la croissance des salaires, qui s'élèvent respectivement à 3,1 % et 4,8 %. Cette dynamique s'est traduite par un taux d'inoccupation historiquement bas de 1,5 %, le taux le plus bas jamais enregistré par la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL), ce qui souligne les difficultés croissantes du marché canadien du logement.
Le problème du logement au Canada a des racines complexes. Des analyses ont mis en évidence la pénurie de main-d'œuvre dans le secteur de la construction, l'immigration et la demande de logements, ainsi que la financiarisation du marché immobilier comme causes potentielles de la crise actuelle. La technologie du logement pourrait être un outil important dans ce qui devra être une solution à multiples facettes.
Interventions fédérales face à la crise du logement au Canada
Le 12 avril, le gouvernement a annoncé une initiative globale intitulée Résoudre la crise du logement : plan du Canada sur le logement. Ce plan vise à rendre la location et l'accession à la propriété plus économiques en augmentant le nombre de logements dans tout le pays. Le gouvernement prévoit d'ajouter un minimum de 2 millions de nouveaux logements nets aux 1,87 million de logements dont la construction est déjà prévue — soit un total de 3,87 millions de logements d'ici 2031. De plus, le budget fédéral de 2024 a prévu un financement de 15 milliards de dollars pour le programme de prêts à la construction d'appartements et un fonds d'infrastructure de logement de 6 milliards de dollars pour les collectivités, permettant la construction d'ensembles de quadruplex à la place de maisons unifamiliales.
Le gouvernement fédéral entend également stimuler l'innovation dans le secteur de la construction en investissant 600 millions de dollars dans la recherche et le développement de technologies de pointe en matière de logement, telles que les maisons préfabriquées, le bois de construction, les panneaux, les applications d'impression en 3D et la création de catalogues présentant des modèles pré-approuvés de maisons.
Dans cet article, nous répondrons à la question suivante : quelles sont les technologies innovantes dans lesquelles le Canada investit et comment peuvent-elles influer sur le marché du logement?
Qu'est-ce que la technologie du logement?
Les techniques de construction traditionnelles nécessitaient beaucoup de main-d'œuvre et utilisaient principalement du bois. L'introduction de clous produits en série et de bois scié mécaniquement, entre le début et le milieu des années 1900, a révolutionné l’industrie, permettant des méthodes plus efficaces telles que l'ossature en colombage.
Aujourd'hui, la construction s'appuie sur des matériaux tels que le béton et l'acier, en mettant l'accent sur la durabilité et l'efficacité énergétique. En plus de ces changements, les constructeurs utilisent désormais des techniques par lesquelles des parties ou des sections entières de bâtiments sont construites hors site et assemblées sur le site final. Ces méthodes améliorent l'efficacité et le contrôle de la qualité, tout en réduisant les coûts. Toutefois, malgré ces progrès, le secteur est confronté à des pénuries de main-d'œuvre, à des coûts élevés, à une faible productivité et à un manque d'automatisation. De plus, les processus internes fondés sur les documents papier et les longues procédures de demande d'autorisation entraînent souvent de plus grands délais d'attente.
Ces inefficacités soulignent la nécessité d'une utilisation accrue des technologies de pointe pour atteindre une efficacité maximale, réaliser des économies et améliorer la gestion du temps, ce qui se traduira par un avenir plus efficace et plus durable pour le secteur.
Technologies émergentes en matière de logement
Préfabrication de panneaux
La préfabrication de panneaux est un processus par lequel les murs, les sols et les plafonds sont conçus à l'aide d'un logiciel informatique, offrant une plus grande précision, une réduction de la main-d'œuvre et des déchets. Les panneaux sont construits dans une usine climatisée, puis livrés sur le site pour y être assemblés. Cette méthode permet de préfabriquer et de stocker les panneaux jusqu'à ce que l'on en ait besoin et d'accélérer l'installation, réduisant ainsi le temps et les coûts de l’étape des fondations jusqu’au bâtiment étanche.
Avantages : la Structural Building Components Association (SBCA) a mené une expérience comparant le recours à la préfabrication de panneaux aux méthodes traditionnelles. Deux maisons identiques ont été construites côte à côte, l'une avec des panneaux et l'autre avec des méthodes traditionnelles. La maison faite à partir de panneaux a nécessité 63 % d'heures de travail en moins, produit 76 % de déchets en moins et a coûté 16 % moins cher à construire.
Inconvénients : les panneaux peuvent être endommagés lors du transport vers le chantier de construction et entraîner des frais de transport, qui peuvent devenir coûteux en fonction de la distance entre le chantier et l'usine. Bien qu'il soit possible de gagner du temps en ne construisant pas les composants sur site, les entreprises de construction doivent consacrer plus d'heures à la coordination avec l'entreprise de panneaux préfabriqués pour examiner les plans, planifier les livraisons et faciliter la livraison avec les entreprises de camionnage.
Impression 3D
L'impression 3D permet de fabriquer des objets tridimensionnels à partir de fichiers numériques. Dans la construction, le mortier ou le béton sont introduits dans une imprimante 3D, puis des bras robotiques automatisés se déplacent autour des fondations d'un site et déposent des couches successives de mortier/béton; chaque couche s'empile l'une sur l'autre jusqu'à ce que la structure souhaitée soit terminée.
Avantages : Nidus3D, basée à Kingston (Ontario), en collaboration avec la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL) et l'Université de Windsor, a construit les premiers logements collectifs imprimés en 3D au Canada à Leamington (Ontario). Nidus3D a également bâti le premier immeuble résidentiel de trois étages imprimé en 3D en Amérique du Nord, dont l'impression a été achevée en moins d'un mois et qui a utilisé moins de matériaux que ne l'auraient exigé les méthodes traditionnelles. Ces économies de temps et d'argent sont soutenues par des acteurs de l’industrie tels que 3DRIFIC, qui affirme que l'impression 3D peut réduire les coûts de construction de 20 à 40 % et le temps de conception de 60 %.
Inconvénients : les coûts d'investissement élevés comprennent l'imprimante elle-même, qui peut coûter des centaines de milliers de dollars, en plus de l'électricité et de la maintenance. Concernant les compétences requises, la pénurie de main-d'œuvre dans le secteur de la construction est exacerbée par le besoin de compétences en matière de conception et d'exploitation 3D. Si les imprimantes 3D peuvent créer des structures de bâtiment, l'aspect brut des murs imprimés en 3D nécessite un post-traitement et une finition, qui font appel à des métiers traditionnels. Si l'on tient compte de ces facteurs, les économies réelles sont souvent inférieures aux prévisions.
Bois massif
Le bois massif est un matériau de construction structurel fait à base de bois adapté aux projets de construction à grande échelle. Il est aussi solide et sûr que d’autres matériaux de construction, mais il est plus rapide et plus facile à produire. S'il remplaçait le béton et l'acier, le bois massif réduirait les émissions des bâtiments jusqu’à 25 %.
Avantages : l'entreprise forestière Stora Enso a constaté qu'en raison du degré élevé de préfabrication impliqué dans la production de bois massif, 50 à 70 % de main d'œuvre en moins étaient nécessaires, en plus de 80 % de livraisons en moins, en raison de la nature légère du bois. De plus, la valeur marchande du bois massif est comparable à celle du béton, mais les délais de production sont 30 % plus courts.
Inconvénients : malgré les avantages apparents du bois massif, il ne représente qu'environ 1 % de tous les matériaux de construction utilisés au Canada en 2022. Parmi les raisons qui expliquent ce faible taux d'utilisation, sont en cause les codes du bâtiment qui limitent la construction et les primes d'assurance plus élevées pour les bâtiments en bois massif (la Southeast Concrete Masonry Association estime que ce n'est pas parce qu'il est plus dangereux, mais parce qu'il est encore nouveau et n'est pas bien établi dans l'industrie). Il existe également un décalage entre l'offre et la demande : la plupart des producteurs de bois de construction se trouvent en Colombie-Britannique, alors que la majeure partie de la demande se situe dans l'Est du Canada, ce qui peut faire grimper les coûts d'expédition.
Modélisation des données du bâtiment (BIM)
Le BIM est un processus numérique qui facilite la collaboration et la gestion des modèles numériques de bâtiments depuis la conception jusqu'à la construction et la maintenance. Il permet de créer des modèles 3D (jumeaux numériques) et de partager des informations précises sur les matériaux, les mesures et les paramètres de performance, ce qui évite les problèmes liés à la chaîne d'approvisionnement. Parmi les avantages, citons l'amélioration de la communication et de la prise de décision, l'amélioration des conceptions et la disponibilité d'informations de haute qualité, réduisant les risques.
Avantages : le projet Celsius en Suède a été achevé en novembre 2020 et a mis en évidence les avantages de la mise en œuvre totale du BIM. Dans le cadre de cette initiative, le BIM a été utilisé comme source unique d'information pendant toutes les phases du projet de construction d'un immeuble de bureaux de six étages, de 12 000 m². Le processus de conception a été estimé 10 % plus rapide et 80 % plus précis qu’avec les méthodes traditionnelles, qui auraient impliqué l’utilisation de dessins 2D. Le projet a ainsi pu être achevé dans les délais et sans dépassement de budget, malgré des coûts imprévus survenus au cours du cycle du projet.
Inconvénients : le BIM est devenu de plus en plus populaire au Canada, mais nécessite un investissement initial important en logiciels et en formation, et ses avantages ne sont pleinement exploités que lorsque toutes les parties impliquées dans le processus de construction l'utilisent. Alors que les gouvernements du monde entier ont lancé des programmes visant à rendre obligatoire ou au moins à encourager l'utilisation du BIM dans les projets de construction, le Canada n'a pas mis en place d'initiative de ce type, ce qui laisse le pays à la traîne en matière d'adoption du BIM. En plus du manque de soutien fédéral, les recherches menées par buildingSMART Canada et le Conseil national de recherches du Canada ont souligné les défis auxquels sont confrontés les acteurs de l'industrie dans la mise en œuvre de la technologie BIM. Les principaux obstacles sont un manque de sensibilisation et de compréhension du BIM, une formation et une éducation insuffisantes sur le BIM, la résistance au changement par rapport aux flux de travail traditionnels et un manque de standardisation entre les parties prenantes, rendant la coordination difficile.
Réalité augmentée
La réalité augmentée (RA) consiste à intégrer des objets réels à des images générées par ordinateur, tandis que la réalité virtuelle (RV) simule un environnement ou un scénario complet. Ces technologies, associées à du matériel tel que des casques intelligents, des lunettes ou des smartphones, peuvent créer des expériences 3D immersives, permettant aux parties prenantes d'interagir avec un bâtiment avant la construction à proprement parler. Cela facilite un retour d'information instantané au cours des premières étapes du développement, accélérant ainsi le cycle de vie des projets et garantissant le respect des budgets.
Avantages : l'entreprise américaine Layton Construction a fait état d'une réduction de 90 % des coûts de préconstruction grâce à l'utilisation de la RV au lieu de maquettes physiques, pendant la phase de conception de son projet. En plus de l'assurance qualité et de la détection des erreurs, la RV et la RA peuvent contribuer à combler le déficit de compétences en facilitant les opérations de machinerie à distance lors desquelles le personnel hors site peut participer aux projets de construction. Cette technologie peut être exploitée pour augmenter la main-d'œuvre qualifiée en formant les travailleurs de manière virtuelle et dans un environnement pratiquement sans risque. Selon l'étude de Pricewaterhouse Coopers sur l'efficacité de la RV, les participants ont suivi une formation quatre fois plus rapidement qu'une formation en classe et étaient deux fois plus confiants pour appliquer leurs compétences après la formation.
Inconvénients : le coût prohibitif de l'équipement de RV et de RA, la nécessité potentielle d'apporter des changements importants aux flux de travail existants et le manque de personnel qualifié pour utiliser efficacement ces technologies constituent des limitations majeures à leur mise en œuvre à grande échelle.
Conclusion
Les progrès réalisés dans le domaine des matériaux, des techniques et des processus de construction tardent souvent à être adoptés par l'industrie de la construction en raison d'un financement insuffisant et de la tendance des constructeurs à résister à l'intégration des progrès technologiques dans leurs procédures, à moins que les avantages ne soient bien documentés et prouvés.
Malgré cela, le Canada s'efforce de promouvoir les investissements dans les technologies et les approches qui pourraient conduire à des gains de productivité significatifs. L'utilisation accrue de la technologie, combinée à une politique progressive d'urbanisme et de zonage, pourrait être un moyen d'aider le secteur canadien de la construction à répondre à la demande croissante d'espace habitable.
Sheldon Lopez est économiste et analyste de recherche au CTIC.